Pourquoi vous devez (re)lire Gunnm

Après avoir abordé brièvement Gunnm dans un dernier article et vu la nouvelle sur Twitter concernant l'adaptation du film, il m'a semblé pertinent de revenir sur cette oeuvre et de la mettre en lumière afin de vous donner envie de la lire. Grand oublié de la sphère "manga", Gunnm est pourtant un base essentielle de la SF japonaise, au même titre qu'Akira. Mais le destin des deux séries n'est pas vraiment été le même quand on connait l'adulation que les fans et le public en général porte pour Akira alors que Gunnm continue sa vie dans le cœur des fans qui ne l'ont pas oublié. Et je parle de mon cœur en particulier. 


Parce que c'est ça qui définit un grand manga : les années peuvent passer, on peut lire et découvrir bien d'autres œuvres mais jamais on oublie ou on retrouve la qualité qu'on a connue. Cela fait au moins 2 ans que je n'ai pas lu le manga, pourtant j'en connais chaque détail comme si je l'avais lu hier. La popularité de ce titre, qui comme je le disais a pourtant posé dans les années 90 ce que doit être la SF dans le manga, est restée confidentielle et il n'y a eu que de rares extensions. On a eu Ashman, le manga "père spirituel" de Gunnm, The Other Stories qui est aussi un titre en 1 tome et The Last Order, la suite de la série originale. Gunnm Kasei Senki, le dernier arc de la trilogie, vient de commencer au Japon. Quand on voit la qualité de ces titres, on se dit que finalement Gunnm a bien fait de rester confiné au lieu de devenir le bazar qu'est devenu Saint-Seiya. Rappelons enfin l'excellent OAV qui reprend l'histoire de Yugo et qui était assez extraordinaire.

Pour ceux qui ne connaissent pas Gunnm, le manga créé par Yukito Kishiro raconte la découverte du Docteur Ido dans une décharge d'un futur cyberpunk d'une carcasse de cyborg dont il espère faire un être à part entière. Spécialiste de la cybernétique, il recréé Gally de toute pièce grâce à l'argent d'un travail de nuit bien particulier : chasseur de tête. On découvre par la suite que Gally, bien qu'amnésique, a intériorisé un style de combat issu de la colonie de Mars et qui n'existe pourtant plus depuis des siècles : le Panzer Kunst. Portée par ce désir ancré au fond d'elle, elle va devenir contre l'avis d'Ido une chasseuse de tête et combattre les cyborgs renégats dans un monde de violence où l'humain n'a plus sa place. 

Les thématiques du manga sont nombreuses et rejoignent bien d'autres œuvres mais il est important de parler des principales :

La condition de l'être humain : la société terrestre est divisée en 2 mondes. D'un côté Zalem, paradis perdu et société utopiste qui vit dans le ciel, accrochée par des câbles à la Terre. Seuls les élus peuvent y vivre et le cadre est calme et serein. Et en dessous, la décharge de Zalem : Kuzutetsu où vivent 99,9% de la population. Là l'univers est froid, cybernétique et la vie n'a quasiment plus aucune importance. C'est ce qui frappe en premier lieu dans le manga : la société dépeinte montre des êtres pour qui finalement le corps est interchangeable. On peut tout se remplacer avec de l'argent. Seul reste le cerveau, le véritable siège de l'âme. Le rapport au corps est violent, voire choquant parfois. De même, on tue pour un rien, la loi du plus fort règne plus que jamais. C'est une vision proche de ce qu'on voit dans Hokuto no Ken mais à un niveau peut-être supérieur. Les gens vivent de vol et de troc dans des bidonvilles, on survit comme on peut. Humains et cyborgs vivent mélangés, on ne fait même plus la distinction. Cette remise en cause fataliste et noire de la condition de l'homme est une thème récurrent dont on a souvent un coup au cœur en lisant le destin de pas mal de personnages. 

L'âme et la machine : au milieu de ce monde carnassier et métallique se dresse pourtant Gally. Image d'une sainte, immaculée et qui donne sa vie pour les autres. Elle incarne parfaitement la rédemption de l'être humain et de ses pêchés, qui l'ont mené à cette société irrespirable. Gally est amnésique, elle cherche à se construire en tant que personne alors même qu'elle n'a plus que le cerveau d'humain. Elle est même plus humaine que les autres personnages du manga, montrant vite les faiblesses de son cœur, sa compassion et son attachement aux gens qu'elle aime. On assiste durant tout le manga à une véritable maturation de son caractère alors même qu'elle change plusieurs fois de corps. Cette association corps cybernétique / développement personnel apparaît clairement dès le début du manga. Le fait que Makaku mange les cerveaux exprime bien le fait que c'est la seule partie irremplaçable de l'être humain du monde de Gunnm. Mais l'est-ce vraiment ?...

Le fatalisme : s'il y a une thématique qui frappe le lecteur et qui a choqué à l'époque de sa sortie, c'est le fatalisme exacerbé dont fait preuve l'oeuvre. C'est peut-être même la seule à le faire à ce niveau. Comme je le disais, la considération pour la vie et le corps humain n'a plus aucune espèce d'importance. Les trafics d'organes sont légion et on peut se faire massacrer dans un coin de rue pour ses yeux ou ses reins. Ce qui fait l'horreur des œuvres de ce style, c'est que personne n'est à l'abris. Personnages attachants ou détestables, la sentence est toujours la même une fois le temps venu : une mort inéluctable et souvent atroce. C'est aussi dans cette thématique que Gally apparaît comme la vierge immaculée. Ses représentations nombreuses avec des ailes sont trouvables facilement sur internet. Elle est celle qui va racheter les pêchés de ceux qui doivent mourir pour être pardonnés. Et plus elle va intérioriser les souffrances des autres, plus elle va devenir blessée et distante. Je ne souhaite pas spoiler le manga mais il y a plusieurs morts qui créent un vrai choc.

En 9 tomes, Yukito Kishiro a réussi à définir un chef d'oeuvre qui ingère les bases de nombreuses autres films ou livres pour en faire un manga très personnel et très noir. Fini depuis 1995, je ne peux que vous conseiller de vous procurer la réédition de Glénat. Comme on l'a appris aujourd'hui, James Cameron qui avait les droits, a laissé tomber le projet, sans doute pour se focaliser sur Avatar. C'est donc Robert Rodriguez, le réalisateur de films énormes comme Une nuit en Enfer, Sin City, Planet Terror ou encore Machete qui s'y colle. Je ne cache pas que j'ai énormément d'appréhension concernant une adaptation d'un Manga en film. À chaque fois ça a été une catastrophe. Mais pouvait-il y avoir un meilleur réalisateur pour tenter le coup ? Je ne crois pas. En tous cas on verra comment se profile ce film de Battle Angel Alita (le nom US de Gunnm, WTF sérieusement).

Commentaires